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ardennes-medievales-450-1500

Vagabondage à travers l'actuel département des Ardennes pendant le millénaire médiéval, agrémentée de haltes diverses (sites, images, chartes traduites, ...)

Le point sur … Mézières: naissance et essor d'une cité médiévale (X°-XIII°s.) - 3 - Une implantation urbaine réussie.

Trois siècles après , la forteresse carolingienne élevée dans une boucle de la Meuse avait donné naissance à la ville la plus dynamique et la plus attractive du comté de Rethel. L’aventure était incontestablement une belle réussite.

 

  • le châtelain, le chanoine et l’échevin

 

Ce fut à partir du XIII° siècle que Mézières s’affirma comme une cité médiévale conforme au schéma habituel que l’on s’en fait. Trois figures essentielles émergent : le châtelain, symbole de l’autorité comtale, le chanoine, témoin de la dimension spirituelle de la ville, et l’échevin, incarnation de l’identité bourgeoise macérienne. Nous entrons désormais dans une histoire mieux connue, éclairée par des travaux de recherche souvent décisifs ;je ne m’y attarderai donc pas plus que nécessaire.

Le châtelain, je l’ai déjà souligné, c’était en quelque sorte le délégué du comte à la tête de la châtellenie. Homme de confiance s’il en fut compte-tenu de l’intérêt particulier de Mézières et des fonctions militaires inhérentes à sa charge , il était évidemment choisi au sein des milieux chevaleresques ; le premier lignage châtelain portait le toponyme de « Mézières », ce qui permet d’avancer deux hypothèses : ou bien ce toponyme – à une époque où les noms de famille n’existaient pas encore – provient de la détention de la charge et de l’implantation géographique qui en résultait, ou bien il s’agissait d’une famille aristocratique locale, choisie par le comte pour détenir la charge . La question se pose aussi au sujet de Donchery dont les « Mézières » se titraient voués et seigneurs. Quoi qu’il fut, cette charge était héréditaire ; il n’est donc point surprenant que la dernière détentrice de ce premier lignage ait été une femme, Lucie, qui épousa un seigneur venu du comté de Chiny, de Thibault de Mellier . Et ce fut par épousailles que la charge entra dans le lignage d’Autry, puissante famille argonnaise qui, jusqu’à présent, gravitait autour des comtes de Grandpré.

Le châtelain, comme tout seigneur, était à la tête d’une maisnie de dépendants, serviteurs et servantes au statut juridique encore flou. Mais la charte de Mézières devait préciser qu’ un bourgeois de la ville pouvait épouser qui il voulait, à l’exception des « filles du seigneur du château », c’est-à-dire des dépendantes de celui-ci.

 

Deuxième figure macérienne, le chanoine. En 1176, l‘archevêque Guillaume aux Blanches Mains installa à Mézières un chapitre de 13 chanoines séculiers dans la collégiale dédiée à saint Pierre . Celle-ci, précise la charte , remplaçait une chapelle que le comte Manassès avait, sans doute peu de temps auparavant, implantée dans son château et qu’il remettait alors entre les mains du prélat rémois. L’événement est doublement intéressant : d’une part, il met en lumière la création d’un lieu de culte privé , installé au sein de la forteresse comtale – il paraît néanmoins surprenant que cette création soit si tardive ; d’autre part, il traduit l’échec rapide de cette captation de la foi à des fins privées puisque l’archevêque, la plus haute autorité spirituelle du lieu, et suzerain du comte pour Mézières, obtenait la transformation de la chapelle en une collégiale de chanoines placée directement sous son autorité épiscopale. Cette collégiale Saint-Pierre a fait l’objet d’études approfondies auxquelles je renvoie le lecteur. Précisons simplement qu’elle avait été construite à l’intérieur de l’espace castral, sur le rebord septentrional de l’éperon barré.

Quant à la paroisse macérienne, elle était à l’origine dédiée à saint Julien ; en 1156, l’archevêque Samson la céda à l’abbaye de Mouzon qui implanta un petit prieuré. Deux remarques à ce sujet : tout d’abord, la dédicace est incontestablement ancienne, antérieure en tout cas au XII° siècle ; d’autre part, le toponyme a désigné dès le XIII° s. le quartier qui s’étendait au-delà des fortifications de la cité, sur une presqu’île habitée au Bas-Empire et où furent découvertes deux nécropoles, l’une gallo-romaine tardive, l’autre franque (Manchester). Est-ce l’indicateur de la survivance d’un noyau de peuplement périphérique au moment où les archevêques élevaient leur castellum de Macerias ?

Centre de commandement politique, rappelons que Mézières fut aussi chef-lieu d’un doyenné dont les limites coïncidaient, là aussi, plus ou moins, avec celles de l’ancien Pays de Castrice.

 

 

Enfin, dernière figure, l‘échevin. En août 1223, le comte de Rethel Hugues III, en son château de Mézières et en présence de plusieurs de ses grands vassaux, accordait à la ville des franchises, habituellement connues sous le nom de charte de Mézières. Le document mériterait assurément une nouvelle étude, mais je me bornerai à en évoquer les apports les plus décisifs. Jean-Marie SCHMITTEL en a autrefois résumé avec une concise intelligence la signification politique  : il ne s’agit nullement d’une charte communale qui aurait fait de la communauté bourgeoise une entité quasi souveraine, mais uniquement d’un transfert de droits et de compétences de l’autorité comtale à ladite communauté. Pour faire court, notons que la bourgeoisie était accordée aux habitats en échange de l’acquittement annuel de deux sous rémois ou parisis ; celle-ci conférait une importance considérable aux échevins, véritables administrateurs de la ville au quotidien. Ces échevins étaient désignés selon une procédure fort complexe : les habitants en élisaient 3, qui à leur tour en choisissaient 3 autres ; les 6 ainsi constitués nommaient les 7 derniers membres du conseil ; la désignation semble se dérouler sans aucune intervention juridique du comte. Et c’était au sein de la communauté bourgeoise que ce dernier choisissait son Prévôt, qui devait néanmoins s’acquitter de la coquette somme de 30 livres - somme qui lui était restitué si le comte le démettait de son office … Si le conseil des échevins se chargeait de l’administration de la ville ainsi que de la justice, le seigneur restait le comte de Rethel, qui imposait aux Macériens des obligations de types à la fois vassaliques (ex :10 livres à verser en cas de captivité du comte) et banales (ex : utilisation obligatoire des moulins seigneuriaux), ainsi que la participation pour moitié aux frais de construction de l’enceinte urbaine. La charte de 1223 , malgré toutes ces restrictions, n’en fondait pas moins l’identité macérienne, concrétisée par l’adoption d’un sceau destiné à officialiser les actes du conseil des échevins, ancêtre de notre actuel conseil municipal.

 

  • la place de commerce

 

Je n’ai pas abordé jusqu’à présent une composante pourtant essentielle de la puissance de Mézières à la fin du Moyen Age, le dynamisme commercial. Si surprenant que cela puisse paraître, celle-ci me semble tout à fait secondaire jusqu’au XIII° siècle ; c’était avant tout la fonction stratégique de la ville qui primait ; il serait en effet tout à fait anachronique de penser que le couloir naturel de la Meuse constituait une voie de commerce évidente : les bouleversements politiques de la fin de la période carolingienne et les longs moments d’insécurité l’avaient sans aucun doute fractionné en des entités relativement isolées, au moins jusqu’aux années 1100, et la documentation ne permet d’ailleurs pas d’envisager de réelles activités fluviales en continu de Verdun à Liège. Et qu’en était-il des voies terrestres hérités de l’Antiquité romaine ? La question doit incontestablement être reprise ex nihilo.

La situation changea au cours du XII° siècle ; les textes laissent notamment entrevoir, pour les dernières décennies, les prémices d’un véritable boom ardoisier qui devait réveiller à la fois le couloir mosan et la dépression de la Sormonne, contrôlée par le lignage des Montcornet. La situation n’est pas encore très claire pour le siècle suivant ; néanmoins, les indices épars récoltés ici et là concordent et mettent tous en lumière un incontestable bouillonnement économique dans la région . Et Mézières devait en tirer profit, cette fois. La ville occupait désormais une situation particulièrement favorable puisqu’elle se trouvait sur un point de rupture de charge entre les voies terrestres venues du sud et de l’ouest et la voie fluviale méridienne. De quels trafics s’agit-il ? La charte de 1223 évoque explicitement les grains des campagnes environnantes – le comte mentionne ses nouveaux moulins, signe que ces grains arrivaient bien , et en quantité, dans le ville -, le vin ( dont la place conséquente dans les échanges devait faire l’originalité du commerce macérien aux siècles suivants), la viande, les poissons, mais aussi des produits financièrement plus lucratifs, les draps, les cuirs, pour la vente desquels Hugues de Rethel envisageait la construction d’une halle, du côté de Saint-Julien ; le document cite enfin de nombreuses activités artisanales, des pêcheurs professionnels aux charrons, charpentiers, couteliers, boulangers… Rien ne permet, en revanche, de corroborer l ‘hypothèse habituelle de l’installation massive de Liégeois qui auraient apporté à la ville sa tradition métallurgique.

Evidemment, la physionomie de Mézières allait s’en trouver transformée. Avec la création de nouvelles infrastructures économiques , port, quais, entrepôts sur les berges de la Meuse . Avec l’aménagement de nouveaux quartiers destinés à accueillir le surplus de population et les activités en expansion. Un beau prélude aux XIV° et XV° siècles, âge d’or du commerce macérien avec l’intégration du comté de Rethel dans les vastes ensembles territoriaux des comtes de Flandre puis des ducs de Bourgogne

 

 

 

  • la cité en mouvement

 

Rien de surprenant à ce que Mézières nous apparaisse au XIII ° siècle comme une cité en mouvement. Le dynamisme économique naissant s’accompagnait d’un essor démographique. En ces temps de crispation identitaire, il n’est point superflu de rappeler avec force que la ville médiévale fut un lieu d’accueil, voire de sauveté, pour tous et toutes. Et les franchises de 1223 l’affirmait sans ambiguïté : quiconque souhaitait venir et s’installer à Mézières pouvait le faire librement, à condition, bien sûr, de s’acquitter des deux sous annuels de bourgeoisie ; il pouvait y prendre femme, sauf parmi celles qui dépendaient du châtelain et du sire d’Orchimont ; il pouvait enfin y acquérir des biens, selon les modalités en vigueur. Le phénomène n’a jamais fait l’objet d’étude spécifique ; faute d’un dépouillement systématique des documents accessibles, nous pouvons déjà constater une interpénétration entre la ville et les campagnes plus ou moins éloignées, avec l’installation de représentants de la petite aristocratie rurale , tel ce Gautier de Nouvion, écuyer, oncle du chanoine Jean de Beauraing et « résidant à Mézières » en 1241 , ou, plus tard, en 1325, Julien d’Ayvelle, écuyer, dont la demeure était sise rue du grand bourg, c’est-à-dire dans l’actuelle rue Monge. Une certaine mixité sociale semble perceptible, dès cette époque, entre cette aristocratie de village et la haute bourgeoisie macérienne : Hugues le Grand, titré sire de Foulzy , mentionnait dans un acte de 1260 son défunt père Simon, jadis prévôt de Mézières, et sa mère Comtesse, au nom typiquement aristocratique, de qui il a sans doute reçu la seigneurie.

 

Corollaire de l’essor démographique, le tissu urbain colonisait de nouveaux espaces. Mal connu, le phénomène est pourtant indiscutable : le bourg castral, créé autour de la forteresse, était devenu une ville qui, aux alentours des années 1300, sortait déjà de son enceinte et essaimait au-delà de la boucle du fleuve, vers le sud (faubourg de Pierre) et vers le nord (faubourg d’Arches), vers l’est (plaine du Theux) , vers l’ouest (faubourg de Saint-Julien).

 

 

 

 

 

 

Extension de la cité médiévale (image Géoportail)

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Autour des années 1300, le castellum carolingien était ainsi devenu la première ville du comté de Rethel. Et elle s’apprêtait à connaître à nouveau de profondes mutations. Tout d’abord, la transmission du Rethèlois aux comtes de Flandre, puis aux ducs de Bourgogne, allait décloisonner l’univers macérien en l’ouvrant au grand commerce européen et y implantant de nouvelles populations. Mais Mézières, jusqu’alors sise aux portes du Royaume, devenait place française  : l’armée royale allait d’ailleurs symboliquement s’y rassembler en 1339 . Et bientôt l’une des sentinelles gardant la frontière , face à l’Empire tout proche . Avec de nouveaux enjeux., cette fois bien connus

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M
L'abbaye Saint Nicaise de Reims avait en 1114 des possessions à et autour de Mézières, j'ai relevé dans un journal ardennais des années 1880 un article citant "la terre de viviers, la terre a Rummel, l'église de Mézières, la forêt dépendant de la dite ville avec la vanne et le cours de l'eau, et la forêt située au-dessus de Cierge". Avez-vous d'autres informations sur les biens de cette abbaye à proximité de Mézières ?
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