Retour aux sources ... Donation pieuse de Raoul, sire d'Ecry, à l'abbaye de Chaumont (1197/98)

Donation pieuse de Raoul, sire d'Ecry, à l'abbaye de Chaumont, à charge pour les prêtres d'associer feu son épouse Ide et sa famille à leurs prières

Date: 1197/98

« Moi, Raoul, sire d'Ecry, fais savoir à tous, tant présents qu'à venir, que j'ai concédé en aumône à l'église saint-Berthauld de Chaumont un muid de froment, mesure de Chaumont, assigné à tout jamais chaque année à ladite église sur les revenus de la terre que je tiens de ladite église sous forme de cens annuel à Saint-Fergeux; et 10 muids de vin à recevoir chaque année sur mes rentes à Vassogne; et 10 sous, monnaie de Reims, à percevoir chaque année de la même façon à Vaux. Selon cette aumône, les prêtres qui célébreront une messe à l'autel de ladite église devant lequel est enterrée Ide, feu mon épouse de bonne mémoire, feront à tout jamais mémoire particulière tant pour mon épouse et ses ancêtres que pour les miens.

Afin que cette disposition soit ratifiée, je l'ai notée ici fidèlement avec l'assentiment de mes enfants, Gérard et les autres, et je l'ai fait renforcer par l'apposition de mon sceau.

Fait l'An 1197 de l'incarnation du Seigneur »

Source: Archives départementales des Ardennes, H 96 (original, latin)

Commentaire rapide:

L'acte, un original sur parchemin, offre un contenu classique. Un seigneur local concède une aumône à une abbaye en échange de bienfaits spirituels.

Il me permet néanmoins d'apporter deux précisions. La première concerne le donateur . Raoul est ici titré « sire d'Ecry » - c'est le nom ancien d'Asfeld.. Au tournant des années 1200 , un certain nombre d'aristocrates sautent le pas et arborent une titulature seigneuriale, entérinant ainsi un exercice de fait de l'autorité banale; ils s'insèrent par là-même dans l'édifice juridique féodal qui organise les rapports de force entre les puissants par le biais des relations vassaliques; ici, le suzerain théorique de Raoul est le comte de Portien. Evidemment se pose dès lors la question de l'origine de ce pouvoir seigneurial; dans le cas qui nous intéresse, la solution ne fait guère de doute; Raoul appartient à un puissant groupe familial de propriétaires fonciers dont les biens s'étendent à la fois dans le Laonnois (il est question ici de Vassogne) et le Portien (Saint-Fergeux, Vaux-lès-Rubigny)- je reviendrai plus tard sur cette question. La puissance économique et sociale se double désormais de la puissance juridico-politique que confère la reconnaissance du titre seigneurial.

Et ici s'ajoute une dimension supplémentaire, religieuse. A l'image des comtes de Porcien, le lignage seigneurial d'Ecry cherche à se doter d'une nécropole familiale avec l'inhumation de la défunte épouse du sire Raoul dans l'enceinte de la prestigieuse abbaye de saint-Berthauld de Chaumont. Avec une forme de détournement spirituel puisque une messe spécifique sera dite en l'honneur de la dite défunte et de sa famille encore de ce monde: il s'agit ni plus ni moins d'une privatisation de la prière commune par un lignage aristocratique, au même titre que la fondation d'une chapelle spécifique. Une attitude tout à fait révélatrice des mentalités et des angoisses d'une aristocratie médiévale soucieuse de gagner son salut et d'y mettre le prix.

Dernière remarque: en l'absence d'éléments plus précis ( mois, jour, référence à une fête religieuse) , le document est par convention daté d'une période qui s'étend de mars 1197 à mars 1198 – le début de l'année se situant alors dans le diocèse de Reims le plus souvent le 25 mars.