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ardennes-medievales-450-1500

Vagabondage à travers l'actuel département des Ardennes pendant le millénaire médiéval, agrémentée de haltes diverses (sites, images, chartes traduites, ...)

Panorama rapide de 10 siècles d'histoire ardennaise (4) 1350-1500: tumultes et splendeurs

 

1350-1500: un siècle et demi de contrastes. D'un côté, les guerres, les dévastations, la peste, les terroirs abandonnés. De l'autre, le flamboiement des princes aux folles ambitions, les dentelles de pierre, la vigueur de l'économie, le dynamisme de la bourgeoisie …et le retour définitif de la puissance publique royale. Le milieu du XIV° s , marqué par les débuts d'une Guerre de Cent Ans qui va saigner à blanc les lignages seigneuriaux locaux, constitue bel et bien un tournant dans notre histoire médiéval; en revanche, il est bien malaisé d'identifier le moment du basculement vers la civilisation nouvelle, celle de l'âge moderne: autour de 1500, certes, mais à quelques décennies près: le fougueux et calviniste Antoine II de Croy, prince de Porcien et baron de Montcornet, mort en 1567, homme « moderne », ne s'anéantit-il pas encore dans quelques rêves « médiévaux »?

 

Siècles de fureur. La région ardennaise subit d'abord de plein fouet la Guerre de Cent Ans. Dès 1359, la chevauchée victorieuse d'Edouard III d'Angleterre , qui aboutit à la prise de Reims, s'accompagne de la dévastation du comté de Rethel par les routiers d'Eustache d'Auberchicourt qui s'emparent d'Attigny ou de la forteresse de Bourcq... Quelques décennies plus tard, le conflit franco-anglais se double d'une guerre « civile » entre Bourguignons et Armagnacs-Orléans: or, les premiers tiennent le comté de Rethel, les seconds le Porcien ; l'affrontement touche les deux capitales dès 1411; la situation revêt parfois une extraordinaire complexité: en 1438, la châtellenie de Montcornet, fief du duc d'Orléans , est tenue par le sire bourguignon Charles de Noyers qui doit composer … avec des vassaux proches du duc de Bourgogne ! Une fois la Guerre de Cent Ans terminée, le calme est de courte durée puisque en1478 les hostilités reprennent, entre souverains de France et princes de Bourgogne (et bientôt Habsbourgs – siège de Mézières de 1521) ! Les aveux et dénombrements des Croy, maîtres de Montcornet et du Porcien, mettent en lumière la ruine et la dépopulation des campagnes ardennaise.

 

L'une des conséquences les plus visibles, aujourd'hui encore, de ce climat d'insécurité, c'est la multiplication des petites fortifications rurales, maisons-fortes de village (guère avant la fin du XIV° s. ) et églises fortifiées (dernières décennies du XV° s. ?). A une autre échelle sont entrepris de grands travaux de restauration/construction d'enceintes urbaines et de puissantes forteresses plus ou moins adaptées aux nouvelles contraintes militaires (armées plus nombreuses, perfectionnement de l'artillerie à feu) – parmi lesquelles deux édifices majeurs, Sedan et, surtout, Montcornet. Bientôt, l'autorité royale récupèrera le monopole de la guerre, des gens d'armes et de la fortification: dans les faits, l'anéantissement de tout pouvoir non-étatique marquera bel et bien la fin de la féodalité; selon une volonté clairement affirmée depuis (au moins) Philippe le Bel, le Roi sera le seul seigneur en son Royaume, par delà la fiction des vieilles relations vassaliques qui perdurera jusqu'en 1789...

 

 

 

La « grant maison » Saint-Fergeux,

« lez fossez et tout le pourpris »

(aveu de 1390)

(Photo: P.S.)

 

 

L'aristocratie traditionnelle est en effet frappée de plein fouet par les mutations en cours. En épousant l'héritière de Champagne, Philippe le Bel étendait la mainmise royale sur les comtés et châtellenies ardennaises (est-ce à ce moment que Mézières passa définitivement de ce côté-ci de la frontière ?). Les vieilles dynasties locales laissent place à de puissants lignages extra-régionaux: les Flandre-Nevers puis les Bourgogne à Rethel, les Châtillon puis les Orléans à Château-Porcien, les Lorraine à Rumigny, les Noyers à Montcornet...sans oublier les Croy (Porcien, Montcornet, Chimay) autour des années 1450 Ne survit guère que la séculaire Maison de Grandpré dont le patrimoine fond comme neige au soleil … Le phénomène, commencé dès la fin du XIII° s., prend des dimensions considérables avec la dureté des temps. Les nouveaux maîtres du sol implantent leurs hommes à eux, agents de leur administration ou/et seigneurs fonciers, ce qui n'est pas sans engendrer des tensions avec la petite aristocratie locale; un exemple, précoce: dès 1331, l'écuyer Perresson d'Ecordal se heurte à un seigneur locale transplanté, Guillaume d'Auxonne, d'origine roturière , certes, mais chancelier du comte de Nevers-Rethel (et héritier de la Flandre)... Une aristocratie locale soumise plus que jamais aux exigences féodales – en 1363, le comte Louis II de Flandre/Nevers/Rethel, duc de Brabant, fait sèchement réquisitionner ses vassaux afin qu'ils exécutent les gardes dues dans ses forteresses; 14 ans plus tard, il décide de reconstruire en pierre le château de Raucourt.

 

Néanmoins, la présence de ces nouveaux lignages, puissants et fortunés, s'accompagne de tout un programme de remise en ordre de leurs nouvelles possessions. A peine détenteur du Porcien, le duc Louis d'Orléans confie en 1400 à Jean d'Ay une grande enquête destinée à faire un état des lieux; sur place, Jean d'Ay requiert le témoignage des anciens des villages afin de déterminer les droits respectifs du comte, de ses vassaux, des communautés rurales. Un demi-siècle plus tard, toujours en Porcien, c'est Antoine Ier de Croy, cette fois, qui adresse au roi un aveu et dénombrement détaillé de ces terres, ce qui lui permet d'inventorier avec minutie les biens et les droits de ses nombreux vassaux – un document d'un intérêt inestimable pour l'historien puisqu'il s'agit ni plus ni moins d'une radiographie du comté à cette date; d'autres documents postérieurs de la même nature permettent d'en suivre l'évolution.

Remise en ordre, et aussi politique de prestige. Le faste constitue une composante essentiel du pouvoir aristocratique. Les ressources considérables des nouveaux lignages leur permettent de mener à bien une politique de grands travaux. Dès les premières années du XV° s. le comte de Rethel Philippe de Bourgogne entreprend la reconstruction du vieux Palais des Tournelles à Mézières. Un demi-siècle plus tard, les Croy se lancent dans la restauration des forteresses de Château-Porcien et de Montcornet, puis de plusieurs églises (Château-Porcien, Renwez,...). Les communautés villageoises participent aussi à la nouvelle vague de travaux (notamment dans le doyenné de Saint-Germainmont dans la seconde moitié du XV°s.), sans omettre les grands monastères (en particulier à Mouzon, où l'abbatiale bénéficie d'importantes transformations – élévation de la tour septentrionale de la façade dans les années 1440/50) , les communautés ecclésiastiques (le chapitre de la collégiale Saint-Pierre de Mézières engage d'importants travaux entre 1472 et 1491), ou encore les autorités urbaines (construction de l'actuelle basilique de Mézières à partir de 1498)

 

                                                                 Eglise de Sainte-Vaubourg (fin du XV°s.)

                                                                                          (photo PS)

 

 

 

 

Or, l'époque est précisément à l'exubérance décorative, que l'on désigne habituellement sous l'expression de « gothique flamboyant ». Les exemples abondent à travers les campagnes et les villes ardennaises, puisque le nouvel esthétisme est appelé ici à durer jusqu'à l'aube du XVII°s. Les végétaux s'enroulent autour des portails, les flammes de pierre découpent les baies ogivales et animent les structures traditionnelles.

 

              

                                                                   

Il est vrai que les dévastations récurrentes perpétrées au cours de ces siècles de fureur, qui anéantissent à jamais les traces architecturales anciennes provoquent la multiplication de chantiers de reconstruction et la diffusion, à travers ceux-ci, des sensibilités nouvelles. En somme, ce que nos yeux regardent, dans notre département, comme héritage médiéval se réduit le plus souvent à ces reconstructions tardives qui se poursuivent jusqu'au coeur de la Renaissance. En parallèle se diffuse la piété nouvelle, plus personnelle, qui préfigure les mouvements de la Réforme, qui exalte le corps souffrant du Christ, qui glorifie la Mère du Crucifié, qui trouve refuge dans le culte des saints intercesseurs. Celle-ci, déjà sous-jacente dans le testament du sire d'Acy en 1319, s'illustre aussi au travers de l'implantation de deux maisons de Cordeliers – une branche des Franciscains – dans les environs de Mézières, le premier dans les années 1340 à Berthaucourt par le comte Louis de Nevers/Rethel, le second en 1489 dans le faubourg d'Arches (Bethléem) par Philippe de Bourgogne, fils du comte Jean de Bourgogne et devenu frère mineur après la mort de son épouse. Le temps des fondations au désert, loin du siècle, est dès lors bel et bien révolu; sous l'impulsion révolutionnaire des Dominicains et des Franciscains, les religieux/religieuses se plongent au coeur de l'humanité, dans les villes - je remarque cependant que ces nouvelles implantations restent rares dans notre région; l'âge du monachisme urbain est ici , avant tout, celui de la Contre-Réforme.

 

Plus que jamais, la ville est au coeur des circuits économiques. Les mutations décelées à partir du XIII° s. s'accélèrent et s'amplifient. Le cas de Mézières, bien étudié, met en lumière un essor remarquable;tournée vers le nord, la cité bénéficie plus que jamais de sa situation mosane avec le déclin des voies terrestres traditionnelles menacées par l'insécurité des temps; elle bénéficie aussi d'une importante immigration, venue notamment de Champagne et du pays liégeois; dès la seconde moitié du XIV° s. s'y installent des banquiers venus d'Italie du Nord; les activités artisanales présentent un éventail impressionnant: on y travaille notamment la laine, le cuir, le lin, le chanvre, le métal (fonte de deux bombardes en 1418); mais la cité vit encore essentiellement du commerce ( vins, sel, harengs, bois, céréales...), minutieusement réglementé à la fois par les autorités comtales et municipales.

La situation des campagnes reste plus délicate à cause des guerres et du passage des gens d'armes. Néanmoins, là-encore, les indices de reprise économique à partir du milieu du XV°s. sont indiscutables; les biens fonciers sont souvent fractionnés et affermés contre le versement de rentes lucratives; les foires et les marchés de Vouziers, du Châtelet sur Retourne ou de Grandpré commercialisent les excédents des récoltes de céréales et les viandes salées; le comté de Rethel, contrôlé par les puissantes Maisons de Flandre et de Bourgogne, tire incontestablement profit de son désenclavement. Les activités proto-industrielles se développent: extraction de pierre de taille, d'ardoises, de minerais de fer, exploitation de la forêt; un four à verre est restauré en 1479 dans les bois d'Omont... Certes, tous ces éléments ne doivent pas occulter les censes abandonnées, les terres en friches et le peuplement rétracté, mais ils sont autant de signes annonciateurs du dynamisme du siècle suivant.

 

 

 

 

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