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Vagabondage à travers l'actuel département des Ardennes pendant le millénaire médiéval, agrémentée de haltes diverses (sites, images, chartes traduites, ...)

Le point sur … Mézières: naissance et essor d'une cité médiévale (X°-XIII°s.) - 1 – Une cité surgie des tumultes du X° siècle.

 

« Naissance et essor d’une cité médiévale » : les premiers siècles de l’histoire de Mézières sont souvent expédiés en quelques dizaines de lignes. De surcroît, l‘utilisation imprudente d’un faux pourtant démasqué depuis longtemps, la trop fameuse « Chronique de Mézières », brouille encore un peu plus les pistes Il n’est donc pas inutile de se pencher à nouveau sur le passé le plus ancien de la ville ; pour mener à bien ce travail, deux impératifs se sont naturellement imposés : le recours systématique aux quelques sources disponibles (une dizaine , pas plus, avant 1200), et le souci de prendre en considération l’environnement historique régional, trop souvent négligé. Soyons clair : il ne s’agit en aucune manière d’une étude exhaustive de la question, l’état de la recherche ne le permet pas encore, mais , plus modestement, de quelques voies à explorer que je livre volontiers à la réflexion commune. J'explicite ici les grands axes d'une intervention donnée en mars 2007 devant les Amis du Musée de l'Ardenne, que je structure en trois parties.

 

I – Mézières, une cité surgie des tumultes du X° siècle.

Le X° siècle, un moment fondateur de la nouvelle géographie politique ardennaise, façonnée par l’émergence de la féodalité. C’est dans ce contexte que naît Mézières, à la périphérie du comté de " Castrice"

 

  • Les terribles années 900 

 

La naissance de Mézières prend place dans un contexte historique tout à fait particulier, celui de la crise du X° siècle qui déboucha sur une redistribution complète des pouvoirs dans la région. J’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer dans plusieurs articles , je me contente donc d’en rappeler les aspects le plus décisifs. Mais il n’est peut-être pas inutile de se souvenir que l’espace ardennais se subdivisait alors en trois structures administratives et politiques qui se superposaient :

  • à la base, les pagi, circonscriptions dirigées par des comtes publics, en quelque sorte des hauts fonctionnaires liés au souverain, mais de plus en plus autonomes ; la boucle de Mézières se situait ainsi dans le pagus castricensis, mais à l’ouest et au nord, sur l’autre rive de la Meuse, nous sommes en Portien – un Portien qui s’étendait encore jusqu’à la confluence de la Semois.

  • réalité lourde de conséquences, depuis le partage de Verdun (843), une frontière séparait à travers l’espace ardennais les terres du royaume de Francia occidentalis (la future France) et celles du royaume de Lotharingie, rattaché à la fin du IX° siècle au royaume de Germanie : en clair, si le Portien était de "France", le pagus castricensis – et la boucle macérienne – n’en était pas.

  • enfin, se superposant à ces deux réalités, le diocèse de Reims, province spirituelle, certes, mais aussi un episcopatus considérable, c’est-à-dire des domaines fonciers hérités des donations royales ; la boucle macérienne , comme nous le verrons plus loin, était terre de l’archevêque – sans doute avait-elle été détachée du fisc royal d’Arches.

 

 

Or, le X° siècle fut marqué par une guerre "civile" particulièrement complexe, qui opposa, à grande échelle, les Carolingiens et les lignages princiers du Royaume, et qui prit un relief tout à fait particulier dans la région , notamment à cause de l’imbrication des biens fonciers des uns et des autres. Elle se traduisit aussi par une lutte acharnée autour du contrôle du siège archiépiscopal de Reims et, surtout, des domaines fonciers de l’épiscopatus qui s’y rattachaient (Vendresse-Omont, par exemple). Une telle instabilité, rappelons-le, facilita les raids normands et hongrois qui semaient la terreur dans des populations souvent livrées à elles-mêmes, ainsi que les tentatives d’usurpations foncières.

 

 

  • le courroux de l’archevêque et la naissance de Macerias

 

Dans ce contexte surgissent les premiers châteaux. Et ce fut autour des villes et de ces châteaux que s’affrontaient les protagonistes. Et ce fut précisément ce qui se passa dans la boucle macérienne… L’épisode relaté par Flodoard, chanoine de la cathédrale de Reims, bien au fait des événements survenus dans le diocèse, s’avère particulièrement éloquent : l’archevêque Hérivée reprend en 920 le castellum de Macerias que tenait Erlebald, le comte du pagus, que ce dernier utilisait comme base de départ de ses expéditions contre les biens de l’Eglise rémoise (notamment Omont)  ; « reprend » : la fortification isolée qui se dressait sur l’éperon rocheux macérien (et qui n’est pas une bourgade fortifiée comme Mouzon ou Ivois, désignée généralement sous le terme de castrum) semble bel et bien l’œuvre du pouvoir archiépiscopal rémois, comme Omont, d’ailleurs, et non du comte Erlebald …

La notice de 920 constitue en quelque sorte l’acte de naissance de Mézières, les « murailles », appellation qui sous-entend l’existence d’un castellum en dur, en pierre – est-ce surprenant si l’on tient compte de veines calcaires faciles à exploiter dans les environs proches (à Romery, notamment) ? Les premiers châteaux n’étaient pas tous en terre et en bois, loin s’en faut, comme le montrent les exemples ardennais du Château des Fées à Montcy ou de Chantereine à Thin  : les ressources locales s’avèrent en réalité déterminantes.

 

 

  • de l’intérêt stratégique de la nouvelle implantation castrale

 

Mais pourquoi implanter une fortification isolée dans la boucle macérienne ? Un constat préalable : les archevêques de Reims accordèrent une attention toute particulière à leur nouveau castellum, Artaud le récupéra en 960 – il était alors entre les mains d’un certain Lambert (probablement du clan des Vermandois) - et Adalbéron en fit compléter les défenses dix ans plus tard. Certes, il s’élevait sur une terre d’Eglise qu’il convenait de protéger. Je me permets néanmoins de proposer une explication complémentaire. L’examen des sources documentaires (c’est-à-dire essentiellement les chroniques carolingiennes), les seules utilisables faute d’informations archéologiques disponibles (hormis le site du Château des Fées), met en évidence un effacement des centres anciens dans ces boucles "carolomacériennes" : le domaine royal d’Arches est curieusement absent des conflits qui opposent les souverains carolingiens et leurs compétiteurs . Même silence au sujet de la bourgade antique de Montcy ; encore active jusqu’aux VII/VIII° siècles, elle est volontiers considérée, sans doute à juste titre, comme chef-lieu d’un pagus qualifié ( plus tard ?) de castricensis, c’est-à-dire, littéralement, le « pays au castrum », une fortification urbaine peut-être resserrée sur l’éperon rocheux de la boucle de l’actuel Mont-Olympe, un site désigné au XIII°s. sous le toponyme de « Châtelet –lès- Mézières » et siège d’un petit domaine agricole non fortifié cette fois .

Manifestement, en un siècle, la physionomie des environs s’était profondément modifiée par rapport à celle que l’on perçoit au travers des découvertes archéologique En résumé, la naissance de Mézières trouverait sa logique politico-militaire dans la disparition de tout centre de commandement effectif au sein des boucles carolomacériennes à l’époque qui nous intéresse ; en somme, il s’agissait ni plus ni moins d’occuper un vide particulièrement dangereux en ces temps troublés pour les possessions archiépiscopales : ces préoccupations l’emportaient incontestablement sur les intérêts économiques désormais bien limités : comment imaginer sérieusement que les anciennes routes romaines et la voie fluviale pouvaient encore être utilisées à grande échelle dans un tel contexte ?

 

 

 

 

 

(croquis P. SABOURIN)

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